Le faux rapport sur les bandes criminelles continue de circuler en Corse et provoque crispations et inquiétudes

Written on 12/11/2025
MP

Depuis le début de la semaine, un faux document intitulé « Bilan2025ParquetAntiCriminalitéCorse » circule sur l’île, mettant en cause plus de 300 personnes, parmi lesquelles des élus et des acteurs de la société civile. Alors que le procureur de Bastia a ouvert une enquête pour déterminer les conditions de sa diffusion, plusieurs personnalités cités, dont Alexandre Farina et Jean-Félix Acquaviva, dénoncent des insinuations malveillantes et annoncent qu’elles envisagent des actions judiciaires.

Depuis le début de la semaine, un document intitulé « Bilan2025ParquetAntiCriminalitéCorse » circule activement en Corse et suscite de nombreuses interrogations. Diffusé anonymement à la presse mais aussi à des membres de la société civile sous la forme d’un fichier PDF, il prétend dresser l’état des lieux de 21 bandes criminelles sur l’île, en reprenant les codes des documents du service d'information, de renseignement et d'analyse stratégique sur la criminalité organisée (Sirasco). 
 
Au fil de 48 pages très fournies, il jette ainsi en pâture plus de 300 noms et associe des personnes déjà condamnées à des élus, avocats, entrepreneurs ou membres d’associations, sans que son origine ne soit connue. Il retrace en outre le pédigrée des bandes criminelles en en présentant les acteurs, l’historique, les alliances et antagonismes.
 
Suite à la mise en circulation de ce document frauduleux dès lundi, le procureur de la République de Bastia, Jean-Philippe Navarra, avait annoncé l’ouverture d’une enquête pour faux et usage de faux, dénonciation calomnieuse, violation du secret professionnel et violation du secret des enquêtes dans le but « de déterminer les circonstances de l’élaboration et de la diffusion de ce document qui doit être interprétée comme une entreprise de déstabilisation, dans le contexte particulier du renforcement de la réponse judiciaire en Corse ». Malgré cela, le document continue d’être relayé et certaines personnes ont eu la surprise d’y retrouver leur nom. À l’instar d’Alexandre Farina, premier adjoint au maire d’Ajaccio. 
 
Le jeune élu affirme en effet avoir découvert son nom dans ce document de manière totalement inattendue. « J’ai été très étonné de figurer dans cette liste. Mon nom a été opportunément rajouté. Dans quel but ? Me nuire ? Me mettre une cible dans le dos ? Je l’ignore mais j’ai décidé de déposer plainte car je n’ai pas l’intention de me taire ni de cesser mon activité publique et politique », indique-t-il. Il explique par ailleurs percevoir dans cette mention un geste malveillant dans un contexte local déjà tendu. « Cela semble déranger certains, dont des candidats nationalistes ajacciens, que je sois un ami proche de certains militants nationalistes connus. Je suis fier de cette amitié ancienne d’ailleurs », affirme-t-il en disant redouter les conséquences d’une diffusion massive et incontrôlée du document. « Je suis inquiet pour mon île et je l’ai déjà dit depuis longtemps. La thèse complaisamment entretenue par certains que tous les Corses, et spécialement les élus, sommes des mafieux, me révulse profondément. Cela engendre ce genre de manifestations », siffle-t-il en appelant à ce que l’enquête permette de lever toute ambiguïté. « J’espère que la police et la justice trouveront les auteurs de ce document. Je souhaite ardemment que les auteurs en charge de ces missions régaliennes les exercent avec rigueur, efficacité et constance ».
 
Le nom du conseiller exécutif et président de l’Office des Transports de la Corse, Jean-Félix Acquaviva, figure lui aussi dans le document. Une mention qui a poussé l’ancien député à réagir mercredi soir sur ses réseaux sociaux. « Parmi d'autres personnalités et élus, mon nom y figure au travers d'insinuations malsaines et nauséabondes quant à la finalité recherchée », commente-t-il en estimant que le faux rapport présente des caractéristiques qui évoquent une manipulation construite. « À la lecture de ce document, la sophistication de la conception et de la manœuvre apparaît comme évidente et fait naître une interrogation légitime quant au rôle de tout ou partie de certains "services" dans l'élaboration de celui-ci. De même sa diffusion massive, visiblement orchestrée, corrobore cette hypothèse. »
Il avance ainsi plusieurs objectifs possibles derrière cette mise en circulation. « Rejoignant les analyses de nombre d'acteurs, il m'apparaît que le bénéfice de cette manipulation réside dans la tentative de satisfaire plusieurs objectifs, semer le trouble au point que l'opinion ne puisse plus savoir distinguer le faux du vrai dans ce qui est évoqué, afin de mieux protéger certains milieux politico-économiques ou criminels, peut-être plus ciblés aujourd'hui qu'hier par des enquêtes menées par les institutions judiciaires ; dénaturer le travail de fond et la dynamique citoyenne en cours, initié par les collectifs anti-mafia et la Collectivité de Corse, sur le péril des dérives et pratiques mafieuses ; créer les conditions d'une poudrière en Corse en ouvrant légion de possibilités de tensions et conflits dramatiques. En un mot, la déstabilisation générale, propice à la fois, à la protection d'intérêts souterrains et au renvoi aux calendes grecques de tout processus d'émancipation politique et démocratique pour le peuple corse autour de l'autonomie », liste-t-il.
 
Il appelle enfin à une mobilisation large pour éviter que la diffusion du faux ne renforce les tensions. « Devant la gravité de cette tentative de déstabilisation, je ne peux qu'appeler tous les acteurs politiques et de la société civile, et plus globalement tous les Corses, à la lucidité pour distinguer le bon grain de l'ivraie, à la vigilance et à la cohésion », pose-t-il avant d’ajouter qu’une action judiciaire n’est pas exclue. « En concertation et cohérence avec le Conseil exécutif et son président, mais aussi avec l'ensemble des membres de la majorité territoriale, je me réserve le droit de porter plainte dans les prochains jours ».

À ce stade, l’enquête se poursuit pour déterminer l’origine du document et les conditions de sa diffusion. En attendant, la circulation du faux rapport continue d’alimenter interrogations et inquiétudes, notamment parmi les personnes qui y sont mentionnées, le tout dans un climat déjà particulièrement sensible autour des questions de criminalité organisée sur l’île.