À Ajaccio et Bastia, les avocats vent debout contre la réforme de la procédure civile d'appel

Written on 12/05/2025
Manon Perelli

Alors que le ministère de la Justice s’apprêterait à signer le décret « RIVAGE », qui vise à réformer la procédure en appel, la colère gronde chez les avocats qui alertent sur une réforme qui restreindrait fortement les droits des justiciables. Dans le sillage de la contestation nationale, à Ajaccio comme à Bastia, les barreaux dénoncent un texte jugé délétère pour les justiciables, en particulier les plus modestes, et demandent son retrait immédiat.

Ce jeudi, une vingtaine de membres du Conseil de l’ordre des avocats du barreau d’Ajaccio s’est symboliquement rassemblée dans une salle d’audience du Palais de justice afin d’alerter sur les conséquences du projet de décret dit RIVAGE

C’est une réforme qui suscite une profonde inquiétude chez les robes noires. À l’instar d’un mouvement qui prend de l’ampleur partout en France dans la profession, ce jeudi après-midi, une vingtaine de membres du Conseil de l’ordre des avocats du barreau d’Ajaccio s’est symboliquement rassemblée dans une salle d’audience du Palais de justice afin d’alerter sur les conséquences du projet de décret dit « RIVAGE », comprendre Rationalisation des Instances en Voie d’Appel pour en Garantir l’Efficience.  Alors que la signature de ce décret qui vise à réformer la procédure en appel serait imminente, selon les déclarations récentes du Garde des Sceaux, son contenu même alarme les avocats en ce qu’il aurait pour conséquence immédiate une limitation des jugements susceptibles de bénéficier d’un deuxième degré de juridiction. 
 
« Ce projet de décret va être délétère pour les droits des justiciables dans la mesure où cela va supprimer le droit d’appel pour un certain nombre de procédures qui font partie de notre quotidien juridictionnel », explique ainsi Me Marie Colombani, bâtonnier du barreau d’Ajaccio, en précisant que la réforme prévoit en effet de relever le seuil de dernier ressort de 5 000 à 10 000 euros. « En clair, cela veut dire que tous les jugements qui concerneront des procédures d’un taux de ressort de moins de 10 000 euros ne seront plus susceptibles d’appel », fustige-t-elle. En outre, le décret RIVAGE supprimerait carrément le droit d’appel dans certaines décisions, comme la fixation de pensions alimentaires ou la contribution aux charges du mariage rendus par le juge aux affaires familiales, ou encore en matière de baux commerciaux de faible montant. Enfin, il instaurerait également un mécanisme de filtrage qui permettrait de déclarer un appel irrecevable sans débat contradictoire. 
 
Une "atteinte disproportionnée à l'accès effectif au juge et au principe de proportionnalité"

« Compte tenu de ce projet de réforme qui est particulièrement délétère pour le droit des justiciables et l'intérêt du droit d'appel, le barreau d’Ajaccio et le Conseil de l'ordre ont décidé de voter une motion qui dénonce cette nouvelle procédure qui va encore aggraver le droit d'appel en limitant l'accès aux juges », a tancé Me Colombani en insistant : « Ces mesures auront pour effet de priver les justiciables de leur droit de faire appel lorsqu’une décision ne leur convient pas, uniquement pour désengorger les juridictions ! ».  Le texte rappelle ainsi que l’appel « voie d'achèvement du litige, est la garantie du plus large accès au juge par le justiciable et constitue le renforcement du rôle de régulateur social de la justice, de la garantie des droits de la défense et du pouvoir d'appréciation des juges ». « Nous rappelons aussi que les décrets Magendie, sous couvert d'une amélioration des délais de procédure, étaient en réalité destinés à gérer les flux, et ont conduit à une complexification de la procédure d'appel et à un allongement des délais qui de facto ont limité l'effectivité du droit d'appel pour les justiciables », a en outre argué Me Colombani en reprenant : « C'est pourquoi le barreau d’Ajaccio a décidé de dénoncer cette réforme et l'atteinte disproportionnée à l'accès effectif au juge ainsi qu’au principe de proportionnalité protégés par l’article 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et l’article 6 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, au regard des moyens utilisés pour réduire la masse du contentieux des cours d'appel ». 
 
Une position d’opposition d’autant plus importante en Corse, où le revenu moyen est inférieur à 15 000 euros par an, a tenu à souligner Me Colombani. « Ce décret va concerner un maximum de justiciables qui seront privés de voies d'appel. Par exemple, dans le cas des Conseils des prud'hommes, un salarié qui aurait un contentieux avec un rappel de salaire inférieur à 10 000 euros ne pourra plus faire appel. Or on sait que les salaires sont ici très bas », a-t-elle pointé. 

Un mouvement de contestation soutenu par le monde économique corse 

Dans la même veine, dans un communiqué, l’Ordre des avocats du barreau de Bastia a également souhaité manifester sa désapprobation face à ce projet de décret RIVAGE, « restriction majeure du droit d’appel qui priverait de nombreux justiciables, en particulier les plus modestes, d’un recours effectif pour les litiges du quotidien » qui « aura des effets pervers procéduraux (engorgement de la première instance, incitation à gonfler artificiellement les demandes, augmentation des pourvois en cassation et création de nouveaux contentieux) »« Le barreau de Bastia entend attirer l’attention de la population corse, qui est déjà particulièrement précarisée, sur l’impact qu’aurait sur elle ce décret en privant d’appel les contentieux les plus modestes et donc sur les personnes les plus modestes », écrit-il en disant  s’opposer d’autant plus à ce décret « qu’il a été fait pour prétendument désengorger certaines très grosses juridictions alors que les juridictions bastiaises, et singulièrement la cour d’appel, malgré le manque de moyens, arrivent à rendre la justice dans des délais raisonnables ».
 
Face à l’ensemble de ces arguments, les avocats demandent ainsi le retrait de ce projet de décret. Et alors que les instances nationales de l’Ordre des avocats négocient actuellement avec le Gouvernement pour que cette réforme soit abandonnée, le bâtonnier du barreau d’Ajaccio prévient : « À défaut, le barreau se tient prêt à toute action de nature à soutenir cette opposition ferme au projet de décret RIVAGE et à protéger les droits fondamentaux des justiciables ». Et de préciser encore que ce mouvement de protestation est soutenu sur l’île par le Collectif, association collégiale des ordres et des organisations consulaires et professionnelles de Corse. « En tout, ce sont plus de 3000 professionnels du monde de l'industrie, du BTP, du tourisme, de l'hôtellerie, des experts comptables qui sont à nos côtés et nous soutiennent dans cette opposition à cette réforme et dans ces motifs de protestation », appuie encore Me Colombani.