Ce samedi 24 mai à 16h, à l’auditorium de Bastia, le journal Arritti organise un débat consacré aux effets de la spéculation immobilière sur les langues et cultures minoritaires. Cette rencontre marque le retour des Scontri, moments de réflexion publique initiés par le journal autonomiste. Un rendez-vous symbolique à l’approche des 60 ans du titre, que Arritti fêtera en 2026. Sa rédactrice en chef, Fabiana Giovannini, revient pour CNI sur la portée de ces rencontres, l’évolution du journal et les défis d’un média militant dans le paysage insulaire.
Vous relancez les Scontri cette année, à l’approche des 60 ans d’Arritti. Est-ce une manière d’ouvrir les festivités ?
Oui, nous sommes déjà dans cette dynamique. Renouer avec les Scontri d’Arritti, c’est une façon de se remettre en mouvement. À une époque, nous organisions régulièrement ces petits débats autour de thématiques précises. Ce samedi, au musée de Bastia, nous proposerons un débat sur l’impact de la spéculation immobilière et ses conséquences sur les langues et cultures minoritaires. Un sujet ancien pour la Corse, mais aussi très actuel dans d’autres régions d’Europe. Nous avons le soutien de la Fondation Coppieters et accueillerons Paul Videsott, spécialiste des Ladins dans les Dolomites, Frank de Boer, élu en Frise, et Peio Dufau, député du Pays basque nord, ainsi que Michel Castellani.
Pourquoi un média comme Arritti tient-il à organiser ce type de rencontres ?
Parce que ce sont des espaces d’échange, de confrontation d’idées, et de dialogue direct avec le public. On peut poser des questions, entendre d’autres expériences. Les invités de samedi viennent de territoires très touristiques, confrontés aux mêmes menaces identitaires.
Le journal s’apprête à souffler ses 60 bougies. Comment expliquez-vous cette longévité pour un média politique ?
Arritti, c’est un combat, un cri. C’est une volonté militante très forte qui s’est exprimée dès le départ. Le premier numéro est paru le 8 décembre 1966. C’est Max Simeoni qui en a eu l’idée. Il disait que pour mener un tel combat, il fallait une presse. À l’époque, il n’y avait pas de presse libre ; les journaux étaient plutôt à la solde de la préfecture. Avec quelques amis, il a décidé de créer ce journal. Depuis, nous avons connu de nombreuses difficultés pour le maintenir à flot. Arritti signifie « debout ». Nous avons eu des problèmes avec l’État, qui, à deux reprises, a voulu nous retirer les annonces légales, une source de financement essentielle.
Est-ce un journal de parti ou un média à part entière ?
C’est la voix de l’autonomisme corse. À la création du journal, il y avait l’ARC, mais Max Simeoni a voulu que le titre soit préservé des aléas politiques, même lors des dissensions internes. Le journal est parfois critiqué, et c’est normal. Mais sa ligne, c’est celle de l’autonomie, élargie aujourd’hui à d’autres thèmes : écologie, justice sociale, réchauffement climatique… Nous n’avons que 12 pages, alors nous avons choisi d’être un journal d’analyse, plutôt que d’actualité.
Quelle est la place d’Arritti dans le paysage médiatique corse ?
C’est un journal d’analyse, de réflexion, qui suit le fil de l’autonomie. Arritti n’a jamais été une simple publication. Il a porté des idées qui ont mené à des réalisations concrètes. Par exemple, Femu Quì, la société de capital-risque, est née après une journée de débat organisée par Arritti. Même chose pour Scola Corsa. Ce sont des idées qui émergent dans les éditos ou lors de nos rencontres. Les Journées d’Arritti ont aussi joué un rôle important dans les discussions sur la violence politique. Nous avons organisé des débats, écrit des éditoriaux. Nous avons invité des personnalités comme Michel Rocard ou le prix Nobel irlandais John Hume. C’était pour montrer à la Corse, et à ses acteurs sociaux et politiques, qu’il y a des pistes à explorer. Ces débats ont, je pense, structuré la pensée et aidé à faire avancer certaines causes.
À quoi ressemble Arritti en 2025 ?
C’est peut-être un signe : nous arrivons à soixante ans d’existence, six décennies de combats menés collectivement. Aujourd’hui, une nouvelle génération s’empare du journal. Des jeunes s’intéressent à notre titre et veulent s’y exprimer. Dans notre équipe rédactionnelle, entre 8 et 10 jeunes de 20 à 25 ans écrivent régulièrement. Ils ont des plumes très différentes, et cela me donne des raisons d’espérer. Faire vivre un journal papier, ce n’est pas simple. Nous sommes dans un monde dominé par l’intelligence artificielle, les réseaux sociaux… Chacun fabrique sa propre information sur Facebook. Mais il est important de faire vivre des journaux comme Arritti, qui structurent la pensée, surtout dans un combat comme le nôtre.
Quelles sont les évolutions envisagées pour le journal ? Entre réseaux sociaux et nouveaux projets.
C’est déjà en marche. Nous laissons carte blanche aux jeunes. Ils ont créé un compte Instagram très actif, avec des podcasts. Le site internet a aussi été refait. Il faudra aller plus loin, plus fort, mais le support papier ne doit pas disparaître. Grâce à la Fondation Coppieters, nous envisageons aussi de numériser l’ensemble des numéros d’Arritti. J’en profite pour lancer un appel : si certains possèdent des exemplaires des années 60 et 70, qu’ils nous les prêtent. En 1977, un incendie criminel a ravagé notre imprimerie et nous avons perdu toutes nos archives. Aujourd’hui, avec cette jeunesse, Arritti regarde vers l’avenir. Cela nous fait énormément de bien. Il est important d’avoir plusieurs plumes dans une rédaction : ce sont autant de façons différentes de raconter le monde.