Ajaccio : Dans l'histoire di " u campu santu di u Canicciu"

Written on 11/01/2025
Alba Marcelli

Site emblématique d’Ajaccio, le cimetière marin des Sanguinaires – U campu santu di u Canicciu – est bien plus qu’un simple lieu de recueillement. À l’orée du sacré, il raconte l’histoire des familles ajacciennes à travers ses chapelles, ses tombeaux prestigieux et ses sculptures. Ce week-end, dans la plus pure tradition, nombreux seront ceux qui viendront y fleurir les tombes et allumer les bougies. L’été, les visiteurs s’y arrêtent pour admirer ce véritable musée à ciel ouvert, tourné vers la mer. L’historien de l’art Pierre-Claude Giansily s’est penché sur ce patrimoine unique et sur son trésor architectural.

Le cimetière marin des Sanguinaires est bien plus qu'une nécropole. Il suffit d'y pénétrer pour le comprendre. Il a été pensé comme une ville, avec ses rues et ses places. En hommage à leurs défunts, les familles ajacciennes, notamment au XIXe et au début XXe, ont fait ériger des monuments architecturaux funéraires. Ces constructions "remarquables" sont les témoins d'une époque ajaccienne et le symbole du patrimoine culturel et identitaire de l'île. Encore aujourd'hui, tout au long de l'année, les familles s'y rendent pour se recueillir, pour entretenir les chapelles. C'est un lieu sacré de la vie ajaccienne. Retour sur l'histoire du cimetière.     

Le cimetière est construit en 1833 par l'architecte de la ville Vincent Lottero et sera agrandi plusieurs fois, en 1840, 1880 et 1934. "On doit à Jérôme Maglioli, architecte de la ville à partir de 1856, le cimetière dans sa conception actuelle, dont le dessin forme une porte à deux battants, qui serait ouverte vers le ciel ", indique l'historien de l'art Pierre-Claude Giansily. U campu santu  di u Canicciu sera agrandi de nouveau en 1934 sur sa partie Est, créant le "nouveau cimetière". C'est pour cela qu'il a deux entrées, l'une permettant d'accéder à l'ancien cimetière et l'autre au nouveau. "Comme dans de nombreuses communes de Corse, le cimetière d’Ajaccio compte de nombreuses constructions qui sont de véritables chefs-d’œuvre avec leur architecture imposante et une variété de styles et de décors qui en font des œuvres uniques avec leurs enceintes, leurs vastes escaliers, leurs colonnes, coupoles et leurs audaces décoratives : marbres, sculptures ", a pu constater l'historien. 

Les nombreuses constructions "remarquables" datent de la fin du XIXe et du début XXe siècles. On dit qu'elles sont "remarquables" du fait de leurs tailles importantes et elles appartiennent aux grandes familles de la ville. Parmi les familles et personnalités, on retrouve les maires d'Ajaccio, le cousin de Letizia Bonaparte Napoléon Levie Ramolino, Dominique Antoine Beverini-Vico, les hommes politiques Paul Pugliesi-Conti, Jean Chiappe et  d'autres personnalités comme le Résistant Fred Scamaroni, le Colonel Colonna d’Ornano, le photographe de la Corse Ange Tomasi, le parfumeur et industriel François Coty et l'homme de lettres Jean-Baptiste Marcaggi. Sans oublier le chanteur Tino Rossi dont le tombeau attire les visiteurs. 

Des sculptures sur les tombeaux

"Au cours de la première moitié du XXe siècle, quelques sculpteurs reçoivent des commandes de décoration extérieure ou se laissent guider par leur inspiration", dévoile l'historien. Sur la façade du tombeau monumental de la famille Jean Binda, on peut voir le décor en bas-reliefs représentant deux immenses atlantes en ciment armé réalisé par Yves Borghesi. A côté du tombeau de Tino Rossi se trouve le caveau du célèbre ténor Gaston Micheletti réalisé par Pierre Dionisi, Prix de Rome de peinture en 1923. Autre tombeau particulier, celui de Maistrale. Il avait fait ériger sa dernière demeure et assortir le tombeau de son propre buste en bronze et d’un bas-relief évoquant l’une de ses chansons, Aiacciu Bellu. Et pour l'anecdote, un jour où il était venu inspecter les lieux, il lança plaisamment à une vieille dame effrayée de le voir là : "Scusatemi, o Madama, chì drentu s’assufoca un omu. Allora, sò surtitu un pocu à piglià u frescu !".

"Au XXe siècle, après 1920, du point de vue architectural, on constate un nombre restreint de nouvelles constructions importantes ou prestigieuses, dans l’esprit de celles du siècle précédent. Au fil du temps, et sans doute plus après 1950, la variété des modèles antérieurs disparaît, tant dans la forme que dans la diversité des matériaux utilisés et les marbriers deviennent les principaux acteurs de l’art funéraire". "Le cimetière d’Ajaccio est construit comme une ville" explique l'historien. C'est d'ailleurs peut-être ce qui a inspiré cette légende urbaine. Il se raconte que durant la Seconde Guerre mondiale, pour tromper l'ennemi et éviter un bombardement, la ville aurait rusé en plongeant la cité dans le noir, ne laissant que les lumières du cimetière allumées. Ce qui pouvait laisser penser à l'ennemi que le cœur de la ville se trouvait au niveau du cimetière. Dans les faits, le cimetière a effectivement été bombardé par les Allemands un soir d'automne, mais ces derniers cherchaient à détruire un dépôt de munitions italien. "Ils n'ont pas pris les lumières des bougies pour les lumières de la ville", rectifie l'historien. La légende est pourtant belle.  

Les "Sette Chiapelle", symboles d'une époque ajaccienne

"Certains des plus beaux caveaux se trouvent cependant en dehors de l’enceinte du cimetière, sur la route des Sanguinaires", précise-t-il par ailleurs. Et pour cause, au XIXe siècle, rares sont les communes à avoir édifié de véritables cimetières. La construction de tombes de famille sur des terrains privés va être très répandue au cours du siècle, constituant une des particularités de l’île. Les « Sette Chiapelle » le long de la route menant au Canicciu témoignent de ce temps où les familles notables perpétuent la tradition des inhumations dans des cimetières privés. Ainsi, le mort n’abandonne pas sa propriété, sa maison. Une tradition qui s'arrêtera après la moitié du XIX e siècle, indique l'historien. Avec la découverte de l’hygiène publique et la loi de l’An XII, les inhumations vont être interdites à l’intérieur des églises et la création de cimetières communaux devient obligatoire.   Si la tradition n'a pas pu perdurer, les chapelles, elles, sont restées sur la route des Sanguinaires. "La chapelle de la famille Baptiste Guitera de style Pallado-Canovien avec ses éléments décoratifs remarquables (colonnes de style ionique, fronton triangulaire, dôme circulaire, décor en relief) fait partie des plus beaux exemples de cette architecture de prestige.