En Corse, la société tente de s'organiser face à "une mafia qui tue"

Written on 11/14/2025
AFP (Maureen Cofflard)

Alors que la mafia se fait de plus en plus insidieuse en Corse, la coordination antimafia, mais aussi de nombreux collectifs, associations et élus appellent à manifester samedi à Ajaccio et Bastia afin de dénoncer ce fléau et de réclamer une action judiciaire renforcée.

(Photo : Archives Paule Santoni)

"Cette mafia tue des gens de bien, des innocents", glisse, dans une rare communication, la mère d'un homme assassiné par erreur en Corse. Samedi, elle ne participera pas aux manifestations antimafia par crainte, mais "souhaite de tout cœur que cette violence s'arrête". L'instruction a conclu que son fils a été la "victime collatérale d’un contentieux entre deux clans rivaux".
 
"On a franchi un cap. Quand une gamine se fait tuer parce qu'elle n'est pas dans la bonne voiture, quand un retraité qui va à la chasse est tué parce que sa voiture est noire ou que le secrétaire général d'un syndicat agricole se fait lâchement tirer dans le dos en fermant le portail de son exploitation, ce n'est plus un mafieux qui tue un autre mafieux, c'est toute la société corse qui est menacée", explique à l'AFP Jean-Dominique Musso, président régional du syndicat agricole Via Campagnola (Confédération paysanne), notamment inquiet des appétits autour du "foncier agricole".
 
Son syndicat a rejoint la coordination antimafia, créée fin septembre et rassemblant collectifs antimafia, syndicats et associations de défense de l'environnement, qui appelle à manifester samedi après-midi à Ajaccio et Bastia avec pour mot d'ordre "Assassins, mafieux, dehors!". En mars dernier, la première manifestation antimafia avait réuni entre 1.500 et 3.000 personnes. Et neuf jours plus tard, Pierre Alessandri, secrétaire général de Via Campagnola qui y avait participé, était assassiné. Dans cette petite société insulaire, ce n'est donc pas rien de descendre dans la rue sous cette bannière et rare sont ceux qui acceptent de parler du sujet à visage découvert. " Nous voulons prouver qu'il y a une réaction, même si elle est encore minoritaire", ajoute celui qui a succédé à la tête du syndicat à "son ami", Pierre Alessandri qui avait vu son exploitation d'huiles essentielles détruite par un incendie criminel en avril 2019.
 
L'île a le triste record national du nombre d'homicides rapporté à la population, avec 18 homicides et 16 tentatives d'homicide en 2024 pour 355.000 habitants. Dernier assassinat en date, le neuvième de l'année, début novembre à Ghisonaccia (Haute-Corse), où un homme de 46 ans a été abattu devant son enfant de 9 ans. Et la chronique judiciaire montre les difficultés de mettre véritablement hors d'état de nuire les 20 bandes criminelles insulaires répertoriées par la police. Jacques Santoni, chef présumé de la bande dite du Petit Bar, en est le cas le plus emblématique. Condamné en mai à 13 ans de prison pour blanchiment, il n'a pas pu être incarcéré du fait de sa tétraplégie consécutive à un accident de moto en 2003.
 
Commerces incendiés
 
"Il s'abrite derrière son handicap pour ne pas avoir à répondre de ses actes devant ses juges", relève le jugement qui pointe sa "dangerosité criminogène avérée". Renvoyé en 2018 et 2025 devant les assises pour son rôle supposé de "donneur d'ordre" des assassinats d'Antoine Nivaggioni et de l'avocat Antoine Sollacaro, il a vu ses procès reportés à une éventuelle amélioration de son état de santé. En attendant, il est à son domicile dans le très cossu sixième arrondissement de Paris.
 
Pourtant, les pouvoirs publics assurent vouloir combattre cette mafia. La création d'une commission, unique en France, contre les pratiques mafieuses vient ainsi d'être votée à l'Assemblée de Corse. Elle s'ajoute à l'instauration "inédite" en juin d'un pôle régional anticriminalité organisée (Praco) qui doit compter "17 magistrats" d'ici 2027.
En septembre, deux ont rejoint le parquet de Bastia, "une amorce du renforcement des moyens de la justice pour lutter contre le crime organisé en Corse", salue le procureur Jean-Philippe Navarre qui ne cache pas "sa soif d'une meilleure justice pour la Corse" et donc de davantage de moyens.
 
Car les enquêtes n'avancent pas assez vite, regrettent auprès de l'AFP deux commerçants victimes d'incendies criminels successifs qui ne souhaitent pas s'exprimer publiquement, par crainte de nouvelles attaques. "Vu le climat de tensions et de criminalité qu'il y a en Corse, je préfère privilégier ma santé et ma vie par rapport à mon entreprise", indique l'un d'eux annonçant, avec "dégoût", cesser son activité. L'autre s'accroche mais demande que les victimes soient soutenues financièrement par l'Etat, "parce que derrière nous, il y a des emplois, des impôts...des vies".