C’est toujours un délice de parcourir un livre du poète Norbert Paganelli. Dans son nouveau recueil, « Cette eau sans maître », en édition bilingue, le poète insulaire célèbre et chante l’eau, la nature, l’homme, le temps qui passe, les rêves….
- Norbert Paganelli, qui est Denisa Craciun* auteure de la préface de l'ouvrage ?
-Denisa est de nationalité roumaine, titulaire d'un doctorat es-lettres. Elle est aujourd'hui enseignante à la faculté de Clermont-Ferrand et se passionne pour la poésie corse qu'elle souhaite mieux faire connaître dans son pays. C'est la raison pour laquelle elle achève une anthologie de la poésie corse contemporaine et je l'ai connue à cette occasion.
- Sa préface met l'accent sur cette voix qui semble vous parler et qu'elle nomme « la voix sans bouche »…
- En la lisant, j'ai moi-même été surpris car je n'avais pas décelé cette constante dans mes écrits. Je pense qu'elle a bien repéré cette sorte d'invariant qui caractérise ma poésie. Une voix qui n'est pas obligatoirement la mienne, me parle et c'est de cette voix que surgit le poème. J'avoue que cela m'avait complètement échappé mais c'est souvent de l'extérieur que l'on décèle l'intérieur...
- Le titre de l'ouvrage est « St'acqua spatrunata/Cette eau sans maître », il n'y a pas là de référence à cette voix qui s'impose...
- Je crois que c'est du pareil au même... J'appelle « eau sans maître » ce que Denisa nomme « voix sans bouche ». L'eau sans maître est la force brute que l'on ne peut arrêter, elle emporte tout sur son passage et sans elle : pas de poésie. Elle peut être dévastatrice mais sans eau point de vie.
- Le poète ne serait-il qu'une main, la substance même d'un texte venant d'ailleurs ?
- Je le crois profondément, il y a toujours un premier jet qui donne le ton et la force au texte, puis il y a le temps de la relecture, des amendements à ce jet initial. Si ce second moment appartient bien à celui qui rédige, le premier moment (le plus important) lui échappe en grande partie.
- Et d'où viendrait cette eau sans maître ou cette voix sans bouche ?
- Elle vient d'ailleurs...Très probablement de ce que le poète a capté à son insu et a macéré dans les coins obscurs de sa mémoire. Le poème n'énonce pas la vision personnelle de l'auteur mais une perception collective souvent masquée par ce qu'il est convenu de dire ou interdit d'avouer.
- Surprise, un nouvel éditeur ? Jacques André, un éditeur continental…
- En vérité ce n'est pas vraiment moi qui ai choisi mais Denisa Craciun, qui m'a orienté vers lui. J'étais un peu surpris par sa proposition car si Jacques André avait déjà publié la regrettée Marie-Ange Sebasti, ses poèmes étaient en français. J'ai pensé au départ qu'il souhaitait ne publier que la traduction de mes textes. Il n'en a rien été, il a souhaité une édition bilingue et il m'a semblé que c'était là une occasion assez rare de toucher un plus large public.
- Est-ce dire que le public continental serait plus réceptif à la poésie que le public corse ?
- Non, pas du tout mais il est bien plus large et attache du prix à pouvoir lire ou simplement découvrir que la France n'a pas pour seule langue le français. J'en ai eu l'expérience en Bretagne, tout dernièrement, ou le public armoricain m'a explicitement demandé de dire mes poèmes en langue corse. Il me semble que la défense et l'illustration de notre langue passe par cette ouverture à l'autre surtout lorsqu'on lui donne les moyens de comprendre en traduisant.
----
*« Rien de plus »
Terre eau et ciel
Herbe écume et nuages
Un peu de vent
Rien de plus rien de moins
Pour faire naître ce qui grandit
Vit et puis s’en va
L’histoire du monde tout entier
Peut tenir dans la main.
« Nienti di più »
Tarra acqua è celi
Arba sciuma è nivuli
Un pocu di ventu
Nienti di più nienti di menu
Par fà nascia ciò chi cresci
Campa è si ni và
A storia di u mondu sanu
In a mani si ni pò stà.
« Chez lui, et depuis ses tout premiers écrits, le poème ne fait qu’un avec une voix immatérielle immuable et ineffable qui s’impose » écrit Denisa Craciun dans la préface de l’ouvrage de Norbert Paganelli. « La caractéristique première de sa poésie s’articule donc autour de cette dernière venue du fond de l’ être, qui, tantôt douce, tantôt rigoureuse, chante silencieusement mais inlassablement. Elle susurre, comme l’eau cristalline d’une source et son chant limpide, polyphonique, transcende le temps, l’espace, les langues, les rites, les règnes et même les notions de bien et de mal. Incréée, elle n’a nullement besoin d’utiliser les mots de la langue ordinaire pour transmettre son message. C’est par elle que nous percevons au plus profond de nous-mêmes, et avec grande acuité, la réalité passée, présente ou devant se produire ».
*« Rien de plus »
Terre eau et ciel
Herbe écume et nuages
Un peu de vent
Rien de plus rien de moins
Pour faire naître ce qui grandit
Vit et puis s’en va
L’histoire du monde tout entier
Peut tenir dans la main.
« Nienti di più »
Tarra acqua è celi
Arba sciuma è nivuli
Un pocu di ventu
Nienti di più nienti di menu
Par fà nascia ciò chi cresci
Campa è si ni và
A storia di u mondu sanu
In a mani si ni pò stà.
« Chez lui, et depuis ses tout premiers écrits, le poème ne fait qu’un avec une voix immatérielle immuable et ineffable qui s’impose » écrit Denisa Craciun dans la préface de l’ouvrage de Norbert Paganelli. « La caractéristique première de sa poésie s’articule donc autour de cette dernière venue du fond de l’ être, qui, tantôt douce, tantôt rigoureuse, chante silencieusement mais inlassablement. Elle susurre, comme l’eau cristalline d’une source et son chant limpide, polyphonique, transcende le temps, l’espace, les langues, les rites, les règnes et même les notions de bien et de mal. Incréée, elle n’a nullement besoin d’utiliser les mots de la langue ordinaire pour transmettre son message. C’est par elle que nous percevons au plus profond de nous-mêmes, et avec grande acuité, la réalité passée, présente ou devant se produire ».