Dans le cadre intimiste d’une veillée sans scène ni micros, la première édition de « A Notte di a Paghjella » a réuni, vendredi soir, chanteurs et auditeurs autour du chant polyphonique corse
Vendredi soir à Lama, le chant traditionnel corse s’est invité hors des scènes et des cérémonies officielles. À l’initiative de Jean-François Luciani, chanteur du groupe I Muvrini, la première édition de « A Notte di a Paghjella » a rassemblé une trentaine de participants au restaurant l’Ostri pour une veillée libre, sans micros ni programme, dans l’esprit d’un chant partagé. « Ce n’est pas un concert, ce n’est pas un concours, ce n’est pas une animation… c’est juste une paghjella », résume Jean-François Luciani. L’événement n’avait ni billetterie ni communication formelle, mais a rapidement attiré passionnés et curieux, certains venus chanter, d’autres simplement pour écouter.
Avant la veillée, une conférence sur le Chjami è Rispondi avait permis de poser les bases d’une réflexion sur les formes du chant corse. La soirée, elle, a redonné à la paghjella sa place première : celle d’un chant vécu. « Il faut que ce chant redevienne une habitude, comme autrefois, quand on se disait : “On monte au village pour se faire une paghjella” », insiste Jean-François Luciani.
Le lieu, lui aussi, a compté. « Ce village, c’est un nid d’aigle. Il offre un écrin idéal pour cette polyphonie. Il y a ici une qualité d’écoute, une simplicité d’accueil qui permet au chant de s’exprimer sans artifice. » L’objectif n’est pas de faire événement, mais de créer un rendez-vous durable. « On n’a même pas appelé ça un concert. On a dit A Notte di a Paghjella parce qu’on savait que ça allait durer dans la nuit… Et maintenant, on aimerait que ça devienne un rendez-vous annuel, ici à Lama. Que les gens sachent : en juillet, il y a la nuit de la paghjella. » poursuit-il.
Cette dynamique s’inscrit dans un travail de fond mené à Lama à travers le Centre d’art polyphonique, soutenu par la municipalité et la Collectivité de Corse. Ce centre abrite notamment le pôle « chant traditionnel », pendant que Sartène accueille les musiques actuelles. Stages, ateliers, conférences, concerts : les propositions sont variées et ouvertes à tous. « On ne demande pas d’être corsephone ni musicien. Ce qu’on demande, c’est un engagement, une régularité, une envie de chanter ensemble. »
Une tradition vivante et actuelle
La paghjella repose sur un équilibre vocal précis : une voix porteuse (a siconda), une basse de soutien (a bassa) et une voix d’ornement (a terza). Mais au-delà de la technique, c’est l’esprit du chant que veut préserver Jean-François Luciani. « La paghjella raconte l’histoire d’un peuple. Elle évoque l’amour, le travail, la peine, mais peut aussi parler d’actualité, du football, ou même de Netflix. Ce chant n’a qu’une seule prétention, celle de créer de la beauté avec la voix. Il ne vise que le partage et l’alliance humaine. »
Une restitution collective est déjà prévue en juillet 2026 dans l’église de Lama, réunissant les 13 ateliers aujourd’hui actifs en Corse et à Marseille. D’ici là, la paghjella continuera à se transmettre, loin des projecteurs, au cœur de la vie. « Ce chant, on ne peut pas le mettre sous vitrine. Il faut le vivre. Et ce soir, ici à Lama, on l’a vécu. »