La Corse compte aujourd’hui 65 plages labellisées pour l’accueil des personnes en situation de handicap. Portée par l’association Cap Corse Handicap, avec l’appui de l’ARS, de l’ATC et de la DRAGES, cette démarche régionale fait figure d’exemple. Mais pour aller plus loin, il faudra convaincre certaines communes encore réticentes.
Sur l’île aux 1 000 kilomètres de côtes, pouvoir accéder à la mer reste encore, pour beaucoup, un luxe conditionné à la mobilité physique. Depuis une dizaine d’années, l’association Cap Corse Handicap s’est donné pour mission de renverser la perspective : faire de l’accès à la plage un droit fondamental, et de son aménagement une politique publique de santé et d’égalité. Avec le soutien de l’Agence du tourisme de la Corse (ATC), de l’ARS, de la DRAGES et de plusieurs intercommunalités, 65 plages sont aujourd’hui labellisées et rendues accessibles aux personnes en situation de handicap ou à mobilité réduite. « L’accès à la mer n’est pas qu’une question de confort. C’est une question de droit. Et de santé publique. », indique Éric Valéry, président de Cap Corse Handicap. « Aller à la plage, c’est aussi aller vers le bien-être. Et donc vers la santé », résume-t-il.
Tapis d’accès, fauteuils amphibies, sanitaires adaptés : en Haute-Corse comme en Corse-du-Sud, les plages labellisées sont classées selon un système à trois niveaux. « Un niveau 1, c’est un tapis. Niveau 2, un fauteuil est mis à disposition. Niveau 3, vous avez en plus des toilettes accessibles. Sur la carte interactive, le vert correspond au niveau 3 », détaille Éric Valéry. Ce sont aujourd’hui les plages de niveau 2 qui sont les plus nombreuses sur l’île. En matière d’équipements, la Corse figure même parmi les régions littorales les plus avancées de France, malgré une géographie souvent escarpée.
Le modèle corse repose sur une articulation entre les collectivités locales, les offices de tourisme et les services de l’État. L’association joue ici un rôle clé : elle est chargée d’expertiser les plages, de former les personnels, d’assurer le suivi régulier du matériel, et de remonter les données aux institutions. « On fait un état des lieux complet, au moins quatre fois par saison », explique Éric Valéry. « Il s’agit de garantir la continuité du service et le respect des labellisations. » Un travail de terrain qui se heurte encore à certaines résistances locales. « Certaines communes refusent encore d’installer un simple tapis. Parfois par manque d’information, parfois par inertie politique. Il faut aller sur place, convaincre, expliquer que l’accessibilité, c’est de la santé gratuite pour les citoyens », insiste le président. L’approche est assumée comme transversale : inclusion, santé publique, solidarité. « Offrir un accès à la mer, c’est permettre à des personnes âgées, handicapées ou en situation de précarité de bénéficier gratuitement d’un espace de bien-être », insiste le président de l’association. En principe, la loi impose aux communes de garantir l’accessibilité des équipements publics, mais dans les faits, les avancées dépendent encore trop souvent de la volonté des élus. « Le handicap, pour beaucoup, se résume au fauteuil roulant. On oublie la santé mentale, la précarité, la solitude », souligne Éric Valéry. « Offrir un accès à la plage, c’est un acte politique. »
Si les statistiques officielles font défaut, l’usage quotidien des équipements est bien réel. « Quand une personne en fauteuil vient chaque jour à la plage grâce au tapis et au tiralo, elle retrouve une autonomie. Elle n’est plus “handicapée”. On a levé un frein énorme », explique-t-il.
Avec plus de deux millions de visiteurs chaque été et une population insulaire de 350 000 habitants, ce sont potentiellement des milliers de personnes, visibles ou non, qui bénéficient chaque année de ces aménagements. « Le tapis, c’est un outil de bien-être, pour les corps mais aussi pour les esprits. Il concerne autant les personnes âgées, malades, que les personnes en situation de handicap physique ou mental », rappelle le président de l’association.
Un bateau inclusif pour aller plus loin
À partir de l’été 2025, la Corse accueillera un dispositif unique en Méditerranée : un bateau totalement inclusif, équipé d’un ascenseur hydraulique, de toilettes PMR, et adapté à tous les publics. Financé par la Collectivité de Corse et l’État, ce bateau permettra d’organiser des sorties en mer pour des groupes issus d’Ehpad, de centres de rééducation ou de structures médico-sociales. Basé à Bastia, il réalisera des escales à Ajaccio et dans d’autres ports, en lien avec les collectivités partenaires. « En Corse, on est entourés d’eau mais, pour beaucoup, on ne peut pas y aller. Ce bateau, c’est une réponse à l’exclusion invisible. On ne laisse plus personne sur le quai », affirme Éric Valéry.
L’accessibilité au-delà de l’été
Malgré les avancées, plusieurs points noirs subsistent. Les postes de secours, qui hébergent le matériel (fauteuils, clés, etc.), ne sont ouverts que deux mois par an. Or, l’insularité, le climat et la saison touristique s’étendent bien au-delà. « Je suis handicapé toute l’année, pas seulement en juillet-août. À partir de septembre, il n’y a plus de fauteuils, plus d’accès. On doit changer de logique », alerte-t-il. De même, certaines obligations légales (nombre de places PMR dans les communes, installation de sanitaires accessibles…) sont encore trop peu appliquées. Le poids de l’ancien maillage politique, les freins budgétaires ou l’absence de stratégie intercommunale cohérente ralentissent l’harmonisation.
Pour Éric Valéry, les plages inclusives ne doivent pas être vues comme un “plus” ou une exception :« Il ne s’agit pas de “favoriser” des personnes, mais de garantir une égalité de fait. On parle d’un droit d’accès à la mer, comme on parle du droit à l’école ou aux soins. » En rendant visibles des pratiques longtemps minorées, en impliquant les acteurs institutionnels et en posant des exigences de suivi et de qualité, le travail de Cap Corse Handicap fait aujourd’hui de l’inclusion littorale un pilier concret des politiques publiques en Corse. Et de conclure : « Faire de la politique, c’est créer du progrès. Nous, on apporte les outils. Aux élus de les activer pour que personne ne soit laissé de côté. »